Certes, le titre de cet article est pour le moins pompeux et ouvertement caricatural, mais je n'ai pas trouvé mieux pour évoquer deux légendes urbaines plus ou moins documentées. L'une est cela dit beaucoup plus célèbre que l'autre (bien que les deux soient tout aussi intéressantes), mais je me rends compte que je vais trop vite.
Remontons d'abord en 1995, au mois d'août plus précisément, lorsqu'un article du Fort Wayne Journal Gazette (en Indiana), signé par un certain Charles Savage, affirme que (re)voir Le Magicien d'Oz en le synchronisant avec l'album The Dark Side of the Moon de Pink Floyd donne un résultat "ahurissant". Par ailleurs, Savage prétend détenir le tuyau d'un obscur forum à une époque où Internet était encore un média lui-même très obscur : disons donc que tout cela est vraiment très nébuleux, pour ne pas dire occulte.
Pendant un peu plus de dix ans, l'expérience restera d'ailleurs cantonnée aux fans hardcores du groupe et/ou du film, aux geeks déjà trop rivés à leurs ordis, et aux tenants des théories du complot plus ou moins fumeuses (et dans le cas présent, enfumées par-dessus le marché, et il est évident que je ne parle pas de tabac).
"Somewhere over the big blunt... We are high..."
À l'orée des années 2000, lorsque lecteurs DVD et logiciels de montage seront à portée de main de n'importe quel quidam, la théorie reprendra du poil de la bête et se répandra comme une traînée de poudre à travers le monde, bien aidée par quelques vidéos YouTube qui se font un malin plaisir de démontrer, synchronisation à l'appui, que l'album de Pink Floyd suit bel et bien le cheminement du film de Victor Fleming. Mieux encore : le disque semble illustrer le long-métrage avec une étonnante cohérence ! Les moments les plus frappants où image et musique entrent en collision ont été listés ici, et l'expérience devient alors virale au point que la prestigieuse chaîne câblée Turner Classic Movies programma à l'époque une rediffusion du Magicien d'Oz dont la bande-son est remplacée par The Dark Side of the Moon.
Du côté du groupe, le démenti est rapide : ils affirment à qui veut l'entendre qu'il ne s'agit que d'une énorme coïncidence, quand ils n'envoient pas carrément bouler la question tout en encourageant paradoxalement (et à demi-mots) à tenter l'expérience. Il n'en faut pas plus pour que la machine à rumeur reprenne de plus belle, et certains fans affirment que le leader Roger Waters aurait tout manigancé dans le dos de ses collègues, tandis que d'autres soutiennent que Pink Floyd n'aurait tout simplement pas le droit d'affirmer la filiation au film par souci légal.
Dans le même temps, les analyses et décorticages de l'expérience continuent, et engendrent deux nouvelles théories : la première veut que l'album soit un gigantesque requiem envers Judy Garland (avec, là encore, des exemples frappants) ; tandis que quelques fans parviennent désormais à relier Echoes, chanson tirée de l'album Meddle, au final de 2001 L'Odyssée de l'Espace. Et là aussi, il faut bien admettre que le résultat est assez étonnant...
Pour en revenir au sujet qui nous intéresse ici, difficile de savoir si le groupe a délibérément conçu The Dark Side of the Moon comme une BO alternative au Magicien d'Oz ou s'il s'agit d'un hasard comme on en voit rarement, mais à l'heure où le phénomène porte le surnom de Dark Side of the Rainbow (ou Dark Side of Oz) et est même référencé sur Wikipedia, on peut néanmoins affirmer qu'il fait partie intégrante de l'Histoire du rock. Toujours étudié, débattu et contesté, certains y voient un gigantesque complot qu'ils ne tardent pas à relier (et souvent n'importe comment) à quelques théories bancales comme la mort de McCartney, le meurtre de Kurt Cobain soi-disant commandité par sa femme et maquillé en suicide, ou même au sosie d'Avril Lavigne qui remplace l'originale prétendument morte depuis 2003 (oui, cette théorie existe vraiment... mais les gens sensés et qui possèdent une certaine échelle de valeur musicale s'en foutent royalement, donc passons).
The Walking Dead
Mais d'autres "théoriciens" y voient, peut-être plus simplement mais sans doute aussi plus pertinemment, une expression flagrante de la synchronicité chère à Carl Jung. En somme : deux éléments ou évènements qui n'ont à priori rien à voir peuvent finalement entrer en collision et être vecteurs de sens, car ils découlent d'archétypes gravés dans l'inconscient collectif (et je précise que je grossis ÉNORMEMENT le trait histoire de vulgariser le concept, puisque je n'ai pas vocation à vous faire un cours de psycho).
Fumisterie, ou concept un tant soit peu vérifiable ? On pourrait bien sûr pencher vers la première option, du moins si le cas de Dark Side of the Rainbow ne s'était pas reproduit... Or, le cocktail Pink Floyd / Magicien d'Oz n'est pas le seul du genre.
Le second cas est beaucoup plus méconnu, il n'est à l'heure actuelle référencé que sur quelques blogs et forums (et porte parfois le surnom ma foi bien trouvé de Metallica Strikes Back), mais il n'empêche que le phénomène tourne bel et bien chez quelques initiés / illuminés depuis 2009.
En septembre de cette année-là, Philippe Manœuvre... Quoi ? Oui je sais, après avoir causé d'Avril Lavigne voilà que j'évoque Manœuvre, moi aussi je trouve que ça commence à sentir comme le rayon pâtée pour chiens de chez Lidl, mais restez un peu je vous prie, ça vaut le coup. Phillipe Manœuvre disais-je donc (bon arrêtez de rire, je vous entends encore) affirme dans un édito de Rock & Folk (bon, vous allez arrêter de vous marrer ?! Merde, ça pourrait être pire, genre les Inrocks...) que l'album And Justice For All de Metallica est parfaitement synchro avec L'Empire Contre-Attaque, autre monument du cinéma US et de la pop-culture mondiale s'il en est.
"Salut les potes, aujourd'hui on va parler d'un complot autour de Dark Vador et de pourquoi je me suis branlé sur la musique de Pete Doherty durant les années 2000 !"
L'expérience fonctionne ainsi : sur la version d'origine du film, ou encore sur la restauration de 1997 et bien entendu sur la Despecialized Edition semie-légale (mais surtout pas sur les éditions Blu-Ray, trop altérées), il faut attendre la disparition des lettres qui ouvrent le film pour lancer l'album sans perdre une seconde, afin que la première note de Blackened retentisse à l'instant même où le texte déroulant n'est plus visible.
Et bon sang, il faut bien admettre que pour une fois, Manœuvre fut traversé par un flash derrière ses sempiternelles lunettes noires : l'album illustre parfaitement le film. Mieux encore, image et son s'enrichissent mutuellement. Explications.
Je ne m'attarderai pas à détailler ici chaque accointances entre l'album et le film, laissant ainsi le soin à quiconque veut tenter l'expérience de découvrir l'une après l'autre les géniales surprises que réserve le visionnage... Mais dès le début, les choses sont claires : And Justice for All et L'Empire Contre-Attaque se mêlent en une danse aussi hargneuse qu'enthousiasmante.
La montée progressive de Blackened fait écho à la descente puis au crash de la sonde impériale sur la planète Hoth, l'intro d'And Justice for All s'accorde parfaitement aux changements de plans qui précèdent le réveil de Luke dans la grotte de glace, Harvester of Sorrow colle aux basques du Faucon Millenium traqué par les Tie Fighters au cœur de la ceinture d'astéroïdes... Les exemples sont nombreux, avec parfois de purs moments de grâce. Vous pensiez que seule The Imperial March de John Williams pouvait accompagner l'apparition des croiseurs impériaux ? Erreur : Eye of the Beholder n'a jamais résonné de façon aussi menaçante qu'avec le film. Plus impressionnant encore, One s'accorde avec une étrange délicatesse à l'assaut des forces impériales sur la base rebelle, afin d'illustrer un combat qui prend des atours de baroud d'honneur aussi magnifique que désespéré.
Sans parler de ce superbe ballet aérien
Là est d'ailleurs tout l'intérêt de l'expérience : oubliez L'Empire Contre-Attaque tel que vous le connaissez, vous ne retrouverez jamais au cours du visionnage cet épique space-opera devenu culte : l'Épisode V devient soudainement un pur film de guerre chaotique, peuplé de figures au bord du gouffre qui se foutent sur la gueule sans avoir l'air de réellement savoir pourquoi. La Guerre des Étoiles n'aura jamais aussi bien portée son nom... Luke n'est plus un boy-scout héros de la rébellion, mais un kamikaze bon à enfermer. Han Solo n'a plus rien du macho hâbleur et séducteur, il devient ici un fou furieux accro à la confrontation, auquel Chewie est attaché tant bien que mal. La Princesse Leïa n'a jamais été aussi rigide, Dark Vador et Palpatine prennent plus que jamais des atours démoniaques, et même C-3PO et R2-D2 ont soudainement l'air de deux troufions paumés dans le plus infâme des merdiers.
Ces aspects sont certes sous-jacents au film, ils font partie intégrante des persos et de leur caractérisation, mais jamais le jeu colérique des musiciens et la voix rageuse de James Hetfield ne leur auront permis de briller à ce point, d'autant plus que les paroles font parfois écho à ce qu'il se passe à l'écran : il faut par exemple entendre le chanteur beugler quelques mots qui définissent parfaitement la relation Han / Leïa lors de leur première apparition pour saisir l'ampleur thématique de l'expérience.
"Justice is lost, Justice is raped, Justice is gone"
- And Justice for All
"Dear father, what is this Hell you have put me through ?"
- Dyers Eve
Plus intrigant encore, les dialogues du film pourraient parfois être les paroles de l'album : il est ainsi conseillé de se remémorer les échanges entre Luke et Yoda lors de leur rencontre, afin de réaliser à quel point les variations de tempo de l'instrumental To Live is to Die accompagnent chacun des sentiments que traverse alors le jeune homme. La "danse" du disque et du film atteint alors son apogée, car si la sonorité guerrière d'And Justice For All ne cesse de conférer à L'Empire Contre-Attaque une aura presque carnassière qui esquinte ses protagonistes un à un, les images épiques mises en scène par Irvin Kershner révèlent dans le même temps la sensibilité à priori imperceptible de l'album.
And Justice For All est sans doute l'album le plus difficile à appréhender de Metallica : froid, dur, martial ; il signe l'aboutissement des travaux débutés par les premiers albums du groupe, avant le virage plus grand public du Black Album. Si ce n'est le single One, And Justice For All est un album dénué de bulle d'air, qui ne contient guère d'hymnes à même de faire remuer les stades, et qui crache sa haine à tout bout de champ. Disons le franchement, And Justice For All est un album méchant, et c'est bien ce qui fait toute sa force (et à titre personnel, mon album préféré de la discographie des Four Horsemen).
Et pourtant, derrière sa rugosité apparente se cache un cœur, certes bourré à ras-bord de sang qui bout au travers de veines prêtes à exploser, mais un cœur quand même... Un cœur que le film met en lumière, révélant au-delà de la mâchoire serrée et du regard d'acier un esprit désespéré mais néanmoins combatif, qui semble avoir trouvé dans la hargne une ultime raison de vivre afin de crier ses quatre vérités à la face d'un monde pourri et dominé par quelque figure ténébreuse planquée dans de gigantesques vaisseaux qui ne cessent d'assombrir les étoiles et de boucher l'espace.
Une certaine poésie de la violence se dégage alors des notes de l'album, portée par des personnages au bord du gouffre mais qui ne cessent pourtant d'aller de l'avant. Sur la pochette du disque, aussi blanche que les plaines glacées de Hoth et aussi terne que l'intérieur d'un croiseur stellaire, Dame Justice est prête à s'effriter ; mais sur l'écran, Luke et compagnie tentent tout pour la restaurer.
Face à une telle cohérence, une seule question se pose alors : bordel, mais ils l'ont fait exprès ou pas ?! On pourrait certes arguer que la fin de l'album tombe comme un cheveu sur la soupe, mais ce serait oublier qu'elle survient juste après un moment charnière du film, qui porte en lui autant de promesses que de menaces : une fois encore, la synchronicité est évidente.
Mais tout comme dans Dark Side of the Rainbow, est-elle planifiée ou faut-il regarder plus loin, chercher dans une autre direction que celle de la private-joke exercée par les groupes et qui, par on ne sait quel hasard, aurait finalement été percée à jour ?
Avant toute chose, il faut bien garder en tête que les quatre œuvres dont il est ici question sont, à bien des égards, des cuvées d'exception. Pas seulement grâce à leur maîtrise technique évidente, ou de par l'incontestable talent des diverses parties impliquées, ni même à cause de l'ambition de Pink Floyd et Metallica a toujours se hisser au-dessus de la concurrence. Non, ce qui différencie ces œuvres du tout-venant est leur intention plus ou moins avouée et plus ou moins consciente de toucher à l'universalité la plus pure, en s'attardant sur ce qui définit l'Humanité depuis la nuit des temps.
À ce titre, Le Magicien d'Oz est un film qui s'inscrit pleinement dans le Voyage du Héros théorisé par le professeur Joseph Campbell. Dorothy, l'héroïne du film, le suit bien sûr dans les grandes largeurs ; quant à Star Wars, l'influence de Campbell sur la saga de George Lucas a été plus qu'étudiée, et il est inutile de rappeler que L'Empire Contre-Attaque en est l'un des piliers.
Côté musique, Roger Waters a toujours eu pour ambition de faire de The Dark Side of the Moon une sorte d'opera-rock, une tragédie moderne au cheminement logique divisée en trois parties : enfance, critique de la société, course contre la mort. En somme, la vie résumée en un disque.
Pour ce qui est de Metallica, And Justice for All est clairement centré sur le miroir justice / injustice, qu'il ne cesse de nourrir d'influences diverses et souvent issues du cinéma : One est ainsi ouvertement repris du roman Johnny s'en va-t-en Guerre (porté à l'écran et devenu un film culte), And Justice For All est nommé d'après un long-métrage du même nom avec Al Pacino, tandis que To Live is to Die reprend à la lettre une citation d'un roman de fantasy (genre Campbellien s'il en est) nommé La Malédiction du Rogue. Plus amusant (voir même sidérant), The Frayed Ends of Sanity se réapproprie le thème musical de La Marche des Soldats de la Méchante Sorcière, extrait de la bande originale... du Magicien d'Oz. Les membres de Metallica ont toujours été des éponges à influences, et Kirk Hammett est même une véritable encyclopédie sur pattes du fantastique, capable d'aligner à peu près tout le monde sur ce terrain de par sa culture vertigineuse.
Enfin, il faut noter que lors de la composition d'And Justice For All, le trio James Hetfield / Lars Ulrich / Kirk Hammett était alors en plein deuil de leur vieux pote Cliff Burton, premier bassiste du groupe qui venait de perdre la vie dans un accident de bus. Jason Newsted l'a bien vite remplacé, mais il est de notoriété publique que sa présence sur l'album est tout bonnement inutile, voir même censurée par le groupe : And Justice For All est l'œuvre des trois survivants rongés par le doute, le remord, l'effroi, et tous ces sinistres sentiments que le deuil rend palpable. Inutile de dire que le groupe avait beaucoup à exorciser, et de leur propre aveu, ils continuaient alors à avancer tant pour éviter de sombrer que parce qu'ils ne savaient tout simplement plus rien faire d'autre...
Un état d'esprit à rapprocher du tourbillon dans lequel s'enfoncent les protagonistes de L'Empire Contre-Attaque, par ailleurs le film le plus sombre de la saga : Luke y découvre sa triste filiation avant de se faire trancher la main pour ensuite se jeter dans le vide, Leïa et Han ont à peine le temps de s'avouer leur amour qu'ils sont violemment séparés (et après que Han ait subi des tortures diverses et variées par-dessus le marché), l'Empereur Palpatine y fait sa première apparition, Dark Vador étrangle tout ce qui bouge comme un véritable psychopathe, et même le sympathique C-3PO s'y fait démembrer sans égards. Bref, l'injustice y est plus que présente. Après Un Nouvel Espoir lumineux, L'Empire Contre-Attaque a des allures de revers de la médaille sans concessions, et de plongeon sans retour dans les recoins les plus sombres de la condition humaine.
La grosse marrade
Cette étape fait cela dit partie intégrante du schéma narratif campbellien : le héros doit sombrer pour mieux se découvrir et puiser en lui de quoi renaître ; à l'image de Luke qui affrontera enfin ses démons dans Le Retour du Jedi, ou comme Metallica endeuillé qui fait ses sublimes adieux au trash-metal pour continuer de plus belle, ou comme Dorothy qui découvre le "dark side of the rainbow" au gré d'une méchante sorcière qu'elle abat afin de retourner chez elle.
Cela ne répond pourtant guère à la question : le schéma apparaît certes peu à peu, mais Pink Floyd et Metallica l'ont-ils emprunté consciemment ?
Eh bien, s'il faut considérer que Pink Floyd dit la vérité quant à la non-implication du Magicien d'Oz dans leur processus créatif, prendre en compte que Metallica n'a même jamais fait référence à la synchronicité entre And Justice For All et L'Empire Contre-Attaque, et écarter la théorie certes logique mais invérifiable (et surtout moins bandante, avouons-le) que les musiciens nous mentent effrontément ; la réponse est peut-être bien à chercher du côté de Carl Jung. Psychiatre suisse et penseur reconnu, il est par ailleurs le fondateur de la psychologie analytique dont la synchronicité est l'un des éléments.
"Guten Tag"
Pour bien comprendre ce concept de synchronicité, pour bien saisir en quoi deux éléments apparemment distincts peuvent entrer en collision, il faut non seulement se référer aux travaux de Joseph Campbell sur les archétypes, mais surtout les enrichir de ceux sur l'inconscient collectif théorisé par Jung. Selon lui (et encore une fois en vulgarisant le concept afin qu'il soit accessible au plus grand nombre), il existerait des figures et des schémas inscrits dans la culture, la mythologie et la cosmogonie depuis la nuit des temps, et vers lesquels les individus se dirigeraient de façon quasi-instinctive afin de surpasser leurs névroses lors de périodes de grands bouleversements. C'est sur ce point de départ que Campbell put donc élaborer une structure narrative commune aux plus grands mythes qu'il nomma monomythe, et que l'on retrouve notamment dans les films cités ici.
Si ses travaux ont par la suite été détournés de leur valeur initiale par quelques théoriciens du scénario qui en ont fait un banal et triste mode d'emploi à destination des studios hollywoodiens, Le Magicien d'Oz ne peut entrer dans cette catégorie puisque le film est sorti une dizaine d'années avant la parution du Héros Aux 1001 Visages de Campbell (sans même parler du livre pour enfants à l'origine du film, publié en 1900). Nous sommes donc bien face à une application inconsciente d'archétypes ancestraux, sur laquelle Pink Floyd aurait tout aussi inconsciemment calqué la tragédie en trois actes de The Dark Side of the Moon, aux thèmes aussi universels que ceux du film.
Mais en quoi cela expliquerait cette sidérante synchronicité ? Eh bien, à admettre que Jung et Campbell aient bel et bien vu juste, Victor Fleming et Roger Waters auraient sans le savoir accompli une démarche créatrice on ne peut plus similaire en termes d'objectifs, ce qui amène le résultat de leurs travaux à entrer en collision sur de nombreux points. Aussi incroyable cela puisse-t-il être et aussi improbable cela puisse-t-il paraître, Le Magicien d'Oz et The Dark Side of the Moon seraient les deux côtés d'une même pièce, et bien que leurs domaines artistiques ne diffèrent, le chemin parcouru est si semblable que le parallèle devient évident.
Trop dur à avaler ?
Ok, considérons les choses autrement en lorgnant du côté de Star Wars et Metallica.
Je l'ai dit plus haut, les Four Horsemen sont de véritables éponges à références, des puits de culture qui gobent et recrachent nombre d'œuvres qui leur passent sous la main ; quant à Lucas, son projet premier avec Star Wars était de rendre hommages aux serials de son enfance, démarche qu'il reproduira d'ailleurs quelques années plus tard avec son pote Steven Spielberg sur Indiana Jones. Dans les deux cas, nous sommes donc confrontés à des créateurs gavés de références pop-culturelles, elles-mêmes gavées de références archétypales, et dont l'inconscient est donc de toute évidence réceptif à certaines figures. De plus, il faut signaler que musiciens comme réalisateur sont dans un état d'esprit particulier : les membres de Metallica sont donc en deuil, tandis que Lucas est lessivé par le tournage éreintant du premier film et le phénomène social qui en découle, au point de déléguer les commandes de la suite (non sans la superviser de très près, néanmoins).
Et si, dans leur malheur, les uns et les autres avaient puisé plus que de raison dans ces fameuses références culturelles et archétypales dont ils sont emplis depuis l'enfance, pour eux aussi accoucher de créations si similaires dans leurs démarches et objectifs qu'elles ne pouvaient qu'entrer en collision à certains moments-clefs ? Pour surpasser leurs névroses et leurs traumas, Lucas et les Mets auraient donc fait appel à l'inconscient collectif, avec les résultats ici présents.
"Tout est connecté, ma gueule !"
(bon, il ne l'a certes pas dit ainsi, mais l'idée est là)
Toujours trop dur à gober ?
Très bien, il reste une dernière possibilité qui semble de prime abord démolir ces belles idées... Mais de prime abord, seulement.
En psychiatrie, l'apophénie désigne un trouble consistant à voir des signes un peu partout, surtout lorsqu'ils vont dans le sens d'une théorie plus ou moins fondée, et à ignorer tout ce qui pourrait la contrer. En gros et pour faire simple : ne voir que ce l'on a envie de voir. La critique a souvent été adressée aux deux phénomènes audiovisuels dont il est question ici, et il faut bien admettre qu'elle est compréhensible : les chances pour que films et disques se percutent aussi bien sont infinitésimales, pour ne pas dire nulles. Oubliez donc les moments les plus marquants de Dark Side of Oz répertoriés par nombre de fans, et oubliez les paroles de Metallica qui paraphrasent ce qui se passe dans L'Empire Contre-Attaque : nous sommes juste face à un phénomène d'hallucination collective... Mais, est-ce si problématique ?
Pour sûr, si le phénomène vire à la psychose clinique qui s'accompagne de théories du complot complètement pétées, la distorsion de la réalité devient un souci. De même, si un quidam se sert de cette synchronicité comme base d'un délire bien plus vaste (du genre massacrer son voisin parce que Dorothy le lui a demandé au travers du disque des Pink Floyd, pour utiliser un exemple bien caricatural), le problème est indéniable. Mais en l'état, si cette (supposée) apophénie se limite à discerner quelques traces de possible synchronicité entre deux œuvres thématiquement proches, ne peut-elle être salvatrice et, in fine, faire honneur à la vertu cathartique de l'art ? Si And Justice For All permet de mettre en valeur la hargne de L'Empire Contre-Attaque, ou si à l'inverse le film permet de souligner la poésie rageuse du disque ; et si faire tourner The Dark Side of the Moon devant Le Magicien d'Oz permet de sublimer les thématiques universelles des deux œuvres, est-ce vraiment un mal ? Si le spectateur / auditeur y discerne de quoi puiser en lui, s'il y trouve une force à même de lui faire affronter et même démolir ses névroses, n'est-ce pas même bénéfique ? La démarche ne nous ramène-t-elle pas alors aux bienfaits de l'inconscient collectif tels que théorisés par Jung ? La synchronicité peut certes passer pour une théorie fumeuse, illuminée, infondée ; mais lorsque tant de gens en font l'expérience sur une poignée d'œuvres bien définies, ne serait-ce pas la preuve que l'on touche d'une manière ou d'une autre à quelque chose d'indicible, et surtout de nécessaire ?
Après tout, les chances pour que les expérimentations suggérées par Charles Savage et Philippe Manœuvre trouvent un écho chez d'autres étaient minces, et plus encore que Dark Side of the Rainbow soit abondamment décortiqué au point d'avoir aujourd'hui droit à sa page Wikipedia... Et pourtant, tout comme avec Metallica Strikes Back, beaucoup y ont discerné des figures communes, et surtout un point de départ pour partir sur des considérations plus profondes et mettre en évidence les divers parallèles thématiques qui parcourent ces œuvres. Campbell aurait sans doute apprécié...
Qu'on le veuille ou non, et aussi difficiles à appréhender puissent-elles paraître, les considérations de Jung sur l'inconscient collectif et ses applications au travers de la synchronicité semblent vérifiables, en tout cas bien assez pour inviter créateurs de tous bords à arpenter ces chemins sans retenue et surtout sans filet de sécurité quelconque, afin de pouvoir à leur tour accomplir leurs rôles de guides et même, pourquoi pas, de guérisseurs de l'âme humaine.
L'obtention d'œuvres réellement transcendantales, durables et même salvatrices est à ce prix, bien loin des guides balisés et des chartes étriquées que certains voudraient imposer à la création artistique.
"Crée. Ou ne crée pas. Mais en tout cas, arrête de faire chier."
(Bon encore une fois, pas sûr des termes... Mais bref)
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