ATTENTION : CET ARTICLE CONTIENT DES SPOILERS.
Inutile de revenir
sur le fait que Batman et le Joker sont des antagonistes parfaits, le
sujet à déjà été décortiqué en long et en large et de toute
façon, la chose est évidente pour quiconque connaît un tant soit
peu les deux personnages.
Batman est un
justicier, le Joker est un criminel. Batman est une armoire à glace,
le Joker est efflanqué. Batman est tout de noir vêtu, le Joker est
chatoyant. De Batman, tout le passif est connu de son enfance à sa
formation de justicier alors que le Joker est une énigme ambulante. Mais il existe un
aspect de ce jeu des différences qui est moins exploité, moins mis
en lumière mais qui pourtant est peut-être le plus fascinant :
dans un sens, le Joker est sans doute bien plus humain que le
dévitalisé Bruce Wayne.
La vie de Bruce a un
aspect robotique, toute son existence étant désormais dédiée à
faire régner la justice au détriment de toute autre considération,
immanquablement destinée à être reléguée au second plan.
L’élément le plus significatif de cet état de fait tient
sûrement dans la comparaison de la vie sentimentale des deux
personnages : là où Batman et Catwoman mènent un jeu de
séduction qui tient plus de « suis-moi, je te fuis » que
d’une vraie relation, là où Batman n’a été fichu de faire un
enfant qu’à la seule femme avec laquelle tout avenir est
impossible (Talia Al Ghul, fille de l’un de ses pires ennemis) ;
le Joker peut se targuer d’être en couple depuis des années avec
Harley Quinn. Un couple toxique bien entendu, une relation malsaine
et abusive de laquelle Harley peine à s’extraire pour finalement replonger dans les bras de son « poussin » au bout d’un
temps plus ou moins long, mais il n’empêche, une relation tout de
même relativement stable.
Et pour continuer sur cette considération,
comment ignorer la possibilité d’une attirance homosexuelle plus
ou moins assumée de la part du Joker envers Batou. Si Frank Miller a
été celui qui a le plus clairement souligné la chose via son Joker
androgyne et aguicheur dans The Dark Knight Returns, la question
revient souvent et sert, pour beaucoup de fans, à démontrer que le
Joker a besoin de Batman pour exister alors que l’inverse n’est
pas viable, et ce pour une raison simple : la sexualité de
Bruce Wayne étant réduite à sa portion congrue, il ne peut que
rester hermétique aux manœuvres du Joker.
Oui, mais... Et si, au fond,
Batman n’était pas si insensible au Joker ? Peut-être pas à
ses charmes, mais au moins à son existence ? Et si Batman avait
tout autant besoin du Joker pour exister ? La question a déjà
été posée par le jeu vidéo Arkham Knight, et la réponse fut claire : Batman sans sa némésis n’est plus vraiment Batman, au
point de devoir l’invoquer mentalement pour retrouver toute sa
fougue. Et quand au final il fait définitivement disparaître son
cher ennemi, la carrière de Batman prend immédiatement fin.
Cette question est à
nouveau posée par Marini dans son Dark Prince Charming et, s’il ne
se montre pas aussi radical dans sa démonstration, il est évident
que sa réponse est la même, bien qu’il la souligne beaucoup plus
subtilement.
Le Joker vu par
Marini n’a sans doute jamais été si humain : en plus de
faire part de toute une palette d’émotions, en plus d’être
drôle et même relativement prévenant envers Harley Quinn, il est
surtout vivant. Aucune surprise donc à le voir tirer toute la
couverture à lui au fil de pages le dépeignant comme un
incontrôlable chien fou avide de mordre (et surtout de déchiqueter)
la vie à pleines dents. À contrario, Batman y apparaît effacé,
presque absent, une sombre silhouette qui ne s’attarde même pas à
offrir un semblant d’affection à Catwoman pour lui préférer les
hauteurs de Gotham depuis lesquelles il peut surveiller les bas-fonds
avant de s’y ruer avec brutalité.
Un robot, un
véritable Terminator sans la moindre once d’humanité. Une machine
à laquelle on ne daignerait pas lui accorder la possibilité d’une
vie de famille et encore moins d’une vie amoureuse… Jusqu’à ce
qu’une enfant fasse son apparition.
Une fille, qui
pourrait bien être la sienne et envers laquelle sa réaction
première est le déni tant son existence est la preuve que derrière
l’aspect d’androïde froid qu’il aime à arborer, Bruce Wayne
demeure un homme capable de « fauter » avec une femme de
passage, avec les conséquences qui peuvent en découler.
Incroyable :
Bruce Wayne peut parfois s’envoyer en l’air. Bruce Wayne est
humain, même s’il prétend le contraire.
Inutile de dire que
le Joker ne se gêne pas pour sauter sur l’occasion : il
kidnappe la gamine et, après une première confrontation avec son
meilleur ennemi (lors de laquelle Marini pousse l’ambiguïté
sexuelle du Clown Prince du Crime avec une outrance plus magnifique
encore que celle de Miller), nous retrouvons le vrai Batman, le
super-héros charismatique, fougueux et furieux qui ne se contente
plus de surveiller Gotham mais la fait plier sous sa puissance
pour y régner avec une vigueur incontestable, la dominant sans
vergogne. La métaphore n’a même pas besoin d’être soulignée
tant elle est évidente.
De là à dire que
l’attirance homosexuelle du Joker pour Batman est réciproque, il
n’y aurait qu’un pas à franchir que Marini se garde bien de
faire, quand bien même il enclenche le mouvement d’une enjambée
grandiose par le biais de ce twist sidérant : cette petite
fille n’est probablement pas celle de Wayne, mais du Joker. Batman
et son ennemi ont donc partagé la même femme, et il en a résulté
cette enfant illégitime que Bruce finit par adopter. On aura tôt
fait de qualifier la petite d’enfant de « l’amour »
entre les deux personnages, mais son véritable intérêt est
ailleurs.
Car au détour d’une
scène, lorsque Batman apprend la véritable affiliation de la
gamine, on ne peut que comprendre qu’il sait qui est véritablement
le Joker. Le secret de son identité est bien gardé de tous (et des
lecteurs) dans l’univers DC mais la vérité, c’est que Batman la
garde pour lui, pour s’en réserver l’exclusivité, en faire une
sorte de lien entre eux, car il ne sait que trop bien pourquoi il
n’arrive jamais à se débarrasser du Joker : si ce dernier ne
pourrait certes pas exister sans Batman, celui-ci n’est pas
vraiment lui-même sans son ennemi favori, le seul être au monde qui
soit capable, par un paradoxe superbement dérangeant, de réveiller
son humanité.
Dès lors, la
question se pose : le Dark Prince Charming de Marini est-il bien
celui auquel on pensait en ouvrant le livre ?
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