ATTENTION : CET ARTICLE CONTIENT DES SPOILERS.
Il y a ce dialogue,
dans The Strangers – Prey At Night, qui dans un sens conditionne
tout le film et sa démarche. À l’une des tueuses qu’elle vient
de démasquer, l’une des victimes pose cette question des plus
légitimes : « mais pourquoi faites-vous ça ? » ;
à quoi il lui est répondu un glaçant « pourquoi pas ? »
Ainsi, dans ce film,
les tueurs n’arborent-ils pas masques et couteaux tranchants pour
se venger d’une quelconque rancune comme Jason, ou pour cacher leurs
identités dans le but de manipuler leurs proies comme le maniaque du Monstre Du Train, ou encore pour mettre en scène un slasher
grandeur nature comme
n’importe lequel des meurtriers de la saga Scream. D’ailleurs,
ils se fichent bien que l’on voit leurs visages, puisque l’un des
membres du trio diabolique du film apparaît pour la première fois à visage
découvert devant ses futures victimes. Non, on y porte des masques
et on y massacre à l’arme blanche parce que, du moins dans leur
optique psychopathe, c’est fun. C’est fun de faire comme au
cinéma.
Le film n’a pas
besoin de nous signifier lourdement, à grands renforts de dialogues
métatextuels et gavés de références pop (façon Scream, pour l'exemple le plus évident), que les tueurs sont gavés de films d’horreur et plus
précisément des plus glorieux slashers des 80’s : il n’y a
qu’à les voir procéder en accompagnant leurs
méfaits d’une bande sonore qu’ils choisissent eux-mêmes et sur
laquelle ils prennent visiblement un pied d’enfer, égorgeant untel
sur du Kim Wilde ou poignardant un autre sur du Bonnie Tyler. Parce que
les grandes heures du genre, c’était dans les années 80, et pourquoi
ne pas faire comme dans les années 80 ? C’est fun, les années
80.
La démarche des
tueurs contamine celle du film, pire, la domine : leur
chansons fétiches deviennent la bande originale du film ; le
rythme lent mais implacable est mené par eux, et eux seuls ;
ils vont même jusqu’à diriger leurs proies aux endroits qu’ils
veulent pour exploiter les décors qui leur plaisent le plus, et de
préférence du genre illuminés de néons multicolores, façon Miami
Vice. Parce que Miami Vice, c’est les années 80 ; et les
années 80, c’est fun.
Il y avait plein de slashers dans les années 80, si ça c'est pas fun...
On se retrouve donc,
peut-être, devant le premier cas de slasher post-moderne. C’est à
dire que tout en ayant pleinement conscience du genre auquel il
appartient et des codes inhérents au-dit genre, le film ne va pas
s’en servir pour les détourner, les souligner, jouer avec eux ou
réfléchir à leur propos ; non : il va les pulvériser.
Le slasher a d’abord
été un sous-genre à même de procurer des frissons bon marché,
sans pour autant que ses meilleurs représentants ne soient de
simples et oubliables sous-produits : le Halloween de John
Carpenter, l’exemple par excellence, est là pour le prouver. Puis
il est devenu une machine à enchaîner les scènes gores, plus ou
moins bien, plus ou moins intelligemment : suivre les évolutions
des saga Vendredi 13 et Freddy est à ce titre édifiant ; à
peu près autant que le virage rigolard que les deux franchises ont
entrepris respectivement avec Jason Takes Manhattan et Le Cauchemar
De Freddy, virage qui avait pour but premier de contourner la censure
mais qui aboutira sans réellement le vouloir à la catastrophe du
néo-slasher, ou slasher méta ; sous sous-genre dont Scream
reste encore le meilleur représentant au milieu de tous les Urban
Legend et autres Souviens-Toi L’Eté Dernier de niveau plus que
discutable. De tristes écarts qui ont bien failli condamner le genre
avant qu’il ne connaisse un regain inespéré par le biais d’une
vague crue, brutale, naturaliste ; avec le Haute Tension
d’Alexandre Aja pour commencer, puis le remake étonnamment bon de
Massacre A La Tronçonneuse et surtout les deux Halloween de Rob
Zombie, à la démarche ultra-réaliste radicalement opposée à
celle plus fantastique de Carpenter, mais néanmoins nécessaire à
cette époque. Et tout cela, sans oublier Tous Les Garçons Aiment
Mandy Lane et son approche du sujet qui tenait plus de l’étude de
caractères que d’une mécanique horrifique trop bien rodée.
Et The Strangers –
Prey At Night là-dedans ? Outre qu’il s’agisse d’un slasher
parfaitement assumé faisant suite à un premier film qui ne se
revendiquait jamais comme tel pour préférer se dissimuler sous les
oripeaux plus respectables du home-invasion ; l’on ne peut que
remarquer qu’il est l’amalgame de toutes ces vagues, tout en
réduisant leurs éléments les plus marquants à leur portion
congrue.
On s’y balade avec
un masque non pas pour cacher son identité (comme dans Meurtres A La Saint-Valentin ou Rosemary’s Killer ;
pour ne citer que les exemples les plus connus de cette période) ou
une difformité (comme le tueur de Massacre Dans Le Train
Fantôme), mais tout simplement parce que comme l’avait compris
Michael Myers dès 1978, le port d’un masque fait peur. Les mises à
mort y sont douloureuses et chaque coup porté fait mal comme dans un
Rob Zombie, non pas parce qu’il faut réveiller le genre après des
années de néo-slasher moribond, mais tout simplement parce que
crever, c’est pas beau à voir. Les tueurs se comportent comme
leurs glorieux prédécesseurs non pas pour livrer une quelconque
réflexion sur les codes du genre mais juste parce qu’après tout,
pourquoi pas ? C’est fun de se comporter comme les plus grands cinglés du genre.
Du moins jusqu’à
ce qu’une des victimes ne se rebelle et contre-attaque avant de
fuir, toujours, sans jamais se retourner.
Et c’est peut-être
là que le film se montre le plus malin, pour aller au-delà d’un
simple revival qu’on aurait pu suspecter de prime abord. Car
derrière les plans soignés en cinemascope et la musique
électronique élégante qui doivent tout à John Carpenter se cache
sans doute l’hommage le plus subtil au maître : après tout,
derrière l’aspect sans conséquence de son Halloween se cachait
une attaque en règle des banlieues bourgeoises et soi-disant
respectables de l’Amérique blanche cachant tant bien que mal de
sombres secrets ; un aspect que l’on retrouvera dans d’autres
grands titres du genre comme Les Griffes De La Nuit, Scream premier
du nom ou Mandy Lane. Même un sous-produit comme le premier
Souviens-Toi L’Eté Dernier avait saisi cet élément inhérent aux
meilleurs slashers : l’empilement de victimes doit révéler
un propos subversif, la forme doit souligner le fond.
The Strangers –
Prey At Night ne l’a pas oublié non plus, et si son propos n’est
pas similaire à celui du chef-d’œuvre séminal de John Carpenter,
il n’en demeure pas moins qu’il sait se réapproprier sa
subtilité pour asséner le sien.
Car voir ces
meurtriers coincés dans un glorieux passé, les 80’s plus
précisément dont l’esthétique contamine tout le métrage, et
persécuter quiconque leur passe sous la main ne résonne-t-il pas
étrangement à l’heure des revivals inconséquents et bassement
mercantiles de cette période (coucou Strangers Things, coucou
Ça), et surtout à l’heure où les U.S.A. se rêvent à nouveau
reaganiens à grands coups de « Make America Great Again » ?
Dans ce cas, ne
reste plus qu’à faire comme la survivante du long-métrage :
affronter cette image fantasmée, la confronter, et aller de l’avant
au lieu de se lover dans un passé à la nostalgie lénifiante, un
passé dont les néons racoleurs cachent de plus bien difficilement
de grandes giclées sanglantes foncièrement dégueulasses.
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