29/03/2021

Les derniers sont les premiers : l'esprit vidéo-club, ou la réévaluation des cancres

Entre les années 80 et la fin des années 2000, les vidéo-clubs ont occupé une place de choix dans la distribution cinématographique : avant que les multiplexes ne commencent à se généraliser vers le milieu des années 90, les cinémas des villes grandes et moyennes étaient alors au mieux constitués d'environ cinq ou sept salles ; tandis que petites villes et villages se contentaient du bon vieux cinéma de quartier à salle unique. Si les vidéo-clubs ont bien souvent servi à combler ce manque afin de permettre aux plus grosses productions d'envahir même les écrans les plus reculés, leur présence à chaque coin de rue leur a également permis de devenir une sorte de contrepoids à la distribution cinématographique classique : que ce soit aux travers de boutiques dédiées ou de coins aménagés dans des commerces de proximité (bureaux de tabac ou épiceries, notamment)*, des personnes qui parfois ne disposaient pas de cinéma à proximité de leur domicile purent néanmoins profiter de la location de cassettes (puis de DVD's). Bien vite, la demande s'est donc avérée massive, et l'offre devint d'autant plus pléthorique que des productions plus ou moins confidentielles y trouvèrent une voie de garage.


S'il est de notoriété publique que le porno est le genre qui profita le plus de l'expansion de cette distribution parallèle (puisqu'il est tout de même plus simple d'apprécier ce genre de production dans l'intimité de son salon plutôt que dans une salle remplie d'inconnus en impers), nombre de séries B ont également su se saisir de cette opportunité : qu'il s'agisse d'échecs en salles, de films pensés pour le grand écran avant d'en être écartés in extremis par des producteurs mécontents, ou bien sûr d'œuvres uniquement conçues pour la vidéo ; ces films envahissaient les rayonnages  afin de répondre à la demande constante du public. Bien que placés à l'ombre des grosses sorties, cela ne les a pourtant pas empêché de briller, et même de traverser les années avec parfois plus d'aplomb que leurs si prestigieux concurrents.
Il serait facile, et surtout méprisant, de n'y voir que le résultat d'un public inculte célébrant tout et n'importe quoi : si ce cas de figure a bien évidemment existé, les succès qui surfèrent sur cette vague sont depuis tombés dans l'oubli, ou ont du moins été replacés à leur juste valeur sur l'échelle artistique. À titre d'exemple, qui assurerait aujourd'hui avec aplomb que la plupart des films de Chuck Norris ou de Steven Seagal sont d'incontournables monuments du cinéma d'action ? Mais à l'inverse, certains prétendus cancres ont su profiter du temps qui passe pour asseoir leur réputation et souligner leur statut avant-gardiste, au point d'avoir droit aujourd'hui à de luxueuses éditions collectors destinées aux fins cinéphiles, et souvent bardées de bonus pointus.
Le Chat Qui Fume, The Ecstasy of Films, ESC, L'Atelier d'Images... Les éditeurs qui se consacrent à la commercialisation et à la pérennisation de ces perles désormais aussi prestigieuses que recherchées sont nombreux ; et si s'attarder sur leurs différents catalogues serait intéressant, seule une poignée de films suffira à illustrer mon propos d'autant plus qu'ils sont ceux que j'ai le plus vu, revus, et donc décortiqués.

Éditions deluxe de films chroniqués dans cet article

Il faut cependant noter que John Carpenter mériterait à lui seul un article (et même plusieurs !) tant ses films ont toujours cartonné à rebours, et souvent grâce à la vidéo. Le monumental The Thing en est bien sûr l'exemple le plus probant : conspué à sa sortie, lentement réévalué au fil de sa carrière "dans le cadre du cercle familial", le film est aujourd'hui cité par à peu près tous les réalisateurs d'horreur dans à peu près toutes les interviews qu'ils donnent sur à peu près tous les sujets. 


Cela dit, The Thing est loin d'être un cas isolé dans la filmo de Big John : Assaut, Fog, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin, Prince des Ténèbres, Los Angeles 2013, Ghosts of Mars... Autant d'échecs en salles sauvés par la vidéo, au point de paver au réalisateur une voie vers une récompense honorifique au Festival de Cannes 2019. À lui seul, Carpenter est un cas d'école qui suffirait à illustrer cet article.

"Qui rigole, maintenant ?"

Cependant, puisque cela serait néanmoins réducteur et planquerait de nouveau dans l'ombre quelques œuvres qui ont eu du mal à en sortir, voici quatre films qui feront tout autant l'affaire, en permettant de plus d'explorer un assez large spectre.


PUNISHER
(The Punisher - réalisé par Mark Goldblatt - USA - 1989)


Sorti la même année que le Batman de Tim Burton, Punisher ne pouvait que se vautrer. Premièrement, parce qu'un micro-budget affichant en vedette un acteur de seconde zone surtout connu pour avoir joué le monolithique Ivan Drago de Rocky IV ne pouvait tenir la distance face à la déferlante promotionnelle et au casting prestigieux déployé par l'homme chauve-souris. Deuxièmement, car Batman pouvait s'appuyer sur près de 50 ans de passif éditorial (sans compter diverses séries live et animées) pour s'installer dans la culture populaire, là où Frank Castle n'en était qu'à ses balbutiements. Enfin, et même surtout, car Punisher était alors trop en avance sur son temps dans sa façon d'aborder l'adaptation de comics au cinéma : âpre, rude, sec, profondément sombre et refusant toute trace d'humour qui pourrait désamorcer la tension, Punisher était une anomalie complète dans le paysage.
Le mètre-étalon était alors le Superman de Richard Donner (1978), superbe film lumineux hélas contrebalancé par des suites toujours plus foireuses qui plongèrent le personnage, et le genre, dans un complet marasme (et à ce titre, le pitoyable Superman IV est un putain de cas d'école). Du côté de chez Marvel, la seule tentative de l'époque repose sur Howard - Une Nouvelle Race de Héros, soit l'histoire d'un canard de l'espace expert en Quack-Fu (un art martial pour palmipèdes... ne m'en demandez pas plus s'il-vous-plaît), doublé d'une rock-star qui s'envoie en l'air avec une humaine. Bref, disons que le sérieux n'était guère à l'ordre du jour.

À noter que le film est produit par George Lucas, qui s'était sûrement fumé un pétard de la taille d'un croiseur stellaire

Si le Batman de Burton contrebalance quelque peu ce pathétique état des lieux, il n'en demeure pas moins que le film reste un produit de commande lissé aux entournures, blindé d'outrances cartoonesques certes amenées avec talent, mais qui n'en restent pas moins empreintes d'un certain second degré. Si Burton jouira d'une plus grande liberté sur Batman Returns (1992), cette suite infiniment plus sombre et adulte n'est pas pour autant le premier film à expérimenter une telle approche dans le genre, puisque le Punisher de Goldblatt le devance largement. Ce dernier regrettera d'ailleurs, ultérieurement, de ne pas avoir affublé le personnage de son fameux t-shirt à tête de mort, et blâmera cette décision d'être à l'origine de l'échec du film. Il n'a pourtant guère à s'en faire : même sans cet attribut, son Punisher est plus "punisheresque" que tous ceux qui lui ont succédé, et c'est paradoxalement la principale raison pour laquelle le film s'est planté.
Le Frank Castle de Goldblatt n'est ni un père éploré en quête de justice sauvage (à l'inverse de Thomas Jane dans le film de 2004), ni un bastonneur compulsif en mode Steven Seagal (comme Ray Stevenson dans la version de 2008), ni un personnage-fonction tout juste bon à illustrer lourdement quelques grosses considérations sur la vengeance (façon Jon Bernthal dans la série Netflix de 2017) : non, son Punisher est un homme ambivalent, traumatisé mais néanmoins conscient que cela ne justifie pas tout, et surtout pas la croisade à laquelle il s'adonne tel un accro à la violence qui a trouvé dans le meurtre de masse une raison de ne pas se flinguer. Aucun jugement, aucun pensum social, aucune considération sur le bien-fondé (ou non) de la justice expéditive : le film est complexe, et laisse les spectateurs se faire leur propre opinion au travers du portrait d'un type constamment sur la brèche, tour à tour antipathique ou touchant, incroyablement cruel ou étonnamment tendre. Une figure  étudiée avec soin par Goldblatt et ses scénaristes (Boaz Yakin et Robert Mark Kamen), aussi captivante que dans les meilleurs numéros de la BD, et sur laquelle la rigidité de Dolph Lundgren fait des merveilles.

Le Punisher, c'est lui, un point c'est tout

Punisher est un véritable polar, froid et radical, et donc en opposition totale aux canons des divers genres dont il est alors à la croisée : trop sérieux pour les adaptations de comics dominée par Nicholson extirpant un gigantesque flingue de son futal, trop psychologique pour la série B d'action balourde d'un Steven Seagal qui venait alors d'exploser avec Nico, Punisher n'eut droit qu'à une sortie aussi expéditive que limitée en salles, avant d'être bazardé dans les vidéo-clubs. Aucune des parties impliquées dans sa production n'y croyait plus, et pourtant...
Pourtant, dès la sortie du reboot de 2004, quelques voix s'élèvent pour souligner la supériorité de la version de 89 que l'on avait trop vite enterrée. Et par la suite, ni Ray Stevenson ni Jon Berthal ne parviendront à faire oublier Lundgren, au contraire : sa silhouette pourtant conspuée à la sortie du film semble être  devenue une ombre désormais insurpassable. Le constat est clair : malgré (ou grâce ?) à sa distribution hasardeuse de l'époque, le film de Goldblatt a bel et bien réussi à acquérir un noyau de fans dévoués, et à se tailler une solide place dans le panthéon du genre. 
Il faut dire qu'entre-temps, les adaptations de comics ont réussi à pérenniser une approche plus adulte des choses, en parallèle d'une masse de productions plus aseptisées. Il y eut donc le Batman Returns de Burton dans la foulée de Punisher, semi-échec qui n'empêchera pourtant pas les ténèbres de s'emparer petit à petit du genre :  The Crow d'Alex Proyas en 1994, Blade de Stephen Norrington en 1998, et évidemment la trilogie Batman de Christopher Nolan entre 2005 et 2012, à laquelle on pourrait rajouter les films de Zack Snyder inclus dans le DCEU, et bien sûr le Joker de Todd Phillips en 2019. Autant de films à l'approche aussi sombre que sérieuse, parfois même déprimée et déprimante, et qui considèrent le matériau de base comme digne d'être décortiqué en profondeur afin de sublimer les diverses thématiques qu'il charrie.

Les héritiers spirituels du film de Goldblatt ?

Tracer un parallèle entre le Punisher de Goldblatt relégué en vidéo-clubs et le Joker de Phillips primé à la Mostra de Venise pourrait sembler exagéré, mais le fait est que si cette première adaptation du justicier de Marvel n'avait pas été là pour déblayer le terrain, alors peut-être n'aurions-nous jamais eu les films cités plus haut. À défaut d'être un succès commercial, le film fut une réussite artistique suffisante pour gagner ses galons petit à petit, et être enfin pleinement réévalué. Pas mal pour un soi-disant plantage...


CABAL
(Nightbreed - réalisé par Clive Barker - USA - 1990)


À la fin des années 80, Clive Barker est le roi de l'horreur : ses bouquins se vendent comme des petits pains, Stephen King l'encense, et son premier film est un carton inespéré : tiré d'un de ses romans, Hellraiser devient illico une référence qui engendre une franchise conséquente (et toujours plus foireuse dès lors que Barker quitte le navire, mais ceci est une autre histoire). Fort de ce succès, Barker est évidemment courtisé par divers studios, qui tous lui proposent un budget conséquent pour réaliser tout ce qui lui passe par la tête. Et c'est là que les emmerdes commencent... 
J'avais déjà évoqué une configuration similaire au travers des mésaventures de Rob Zombie sur sa Maison des 1000 Morts, et Barker connaîtra évidemment les mêmes déboires que notre ami métalleux : bien vite, le studio qui a réussi à se l'accaparer se rend compte qu'ils viennent de filer les pleins pouvoirs à un fou furieux, un passionné du genre qui compte leur balancer un film d'horreur monumental et sans la moindre concession. Les studios réfléchissant souvent plus en terme de chiffres d'affaires et de projections marketing que de considérations artistiques, ils ne peuvent donc que paniquer devant la résultat final (d'autant plus que Barker s'est même permis de faire péter le budget initial, ce qui n'arrange pas son cas) : à la fois film de monstres, thriller, slasher, film d'horreur poétique à la Cocteau et western fantastique, Cabal est un objet d'autant plus insaisissable que les monstres y ont le beau rôle face à l'Amérique WASP. Complètement paniqués, les exécutifs du studio remonteront le film dans tous les sens pour lui sucrer une vingtaine de minutes, l'amputeront même de sa conclusion aussi morbide que romantique, et surtout le refourgueront comme un pur slasher alors que ce sous-genre était déjà en perte de vitesse. Et ce qui devait arriver, arrive : le film se vautre.

"Y a un couteau, y a un masque, donc c'est un slasher"
- un producteur un peu con

Et pourtant, au fil des années et de son exploitation vidéo, Cabal gagne un culte certain tant les spectateurs parviennent à déceler la vision de Barker derrière le marasme ambiant. Difficile d'ailleurs de dire si Barker a influencé divers réalisateurs au travers de son film martyrisé ou s'il était tout simplement en avance sur son temps, mais son approche des figures monstrueuses se répercutera des années plus tard dans toute une frange de l'horreur européenne et surtout latine, notamment chez Guillermo del Toro : Blade II, les deux Hellboy, Le Labyrinthe de Pan, La Forme de l'Eau... Autant d'œuvres célébrées (et même oscarisées !), dans lesquelles la mise en valeur des parias et des exclus en opposition aux figures les plus rigides de la société doit tout au film de Barker.

La muse de del Toro ?

De son côté, celui-ci parviendra à générer un culte suffisant au cours de sa carrière vidéo pour que son director's cut n'émerge enfin des tiroirs du studio ; et qu'un "Cabal Cut" de près de trois heures ne voit également le jour grâce à la restauration d'une obscure édition vidéo destinée à la location, qui présentait le montage d'origine, et que tout le monde croyait disparue. La boucle est bouclée, et même si la revanche de Barker est tardive, elle n'en demeure pas moins possible grâce à ce système de distribution si particulier.


LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS 3
(Return of the Living-Dead 3 - réalisé par Brian Yuzna - USA - 1993)


Si Le Retour des Morts-Vivants 3 a été enclenché pour de basses raisons mercantiles (profiter d'une licence juteuse en reprenant son titre), il n'a guère été pensé par-dessus la jambe pour autant ; et même si le projet initial était de pondre un micro-budget vite vu vite consommé et surtout vite bazardé en vidéo après une exploitation éclair en salles, l'on peut néanmoins affirmer que son réalisateur a plus que transcendé la commande.
Il faut dire que Brian Yuzna est un bel allumé, aussi frappadingue que roublard, et capable de refourguer en contrebandier des œuvres outrancières et pourtant bien plus exigeantes qu'il n'y paraît. Son premier film, le complètement frappé Society, démontrait déjà lors d'un climax hallucinant et indescriptible tout le caractère frondeur du bonhomme, qu'il approfondira avec une Fiancée de Re-Animator qui pulvérise son modèle (pourtant déjà fort qualitatif !), pour enfin signer avec ce Retour des Morts-Vivants 3 un chef-d'œuvre avant-gardiste qui ne pouvait hélas guère briller lors de sa sortie.
Il faut cependant signaler que le film fit forte impression chez les amateurs du genre, mais son décalage par rapport aux canons horrifiques de l'époque circonscrira quelque peu sa renommée. À l'époque, le film de zombie est aussi mort que ses protagonistes, tandis que l'horreur en général est alors branchée sur un mode métatextuel et parfois même rigolard (il faut par exemple revoir Un Vampire à Brooklyn de Wes Craven pour bien cerner l'ambiance de cette période en la matière). Mais le film de Yuzna se fiche de décortiquer le genre, il se fiche du second degrés et plus encore de vous faire marrer : Le Retour des Morts-Vivants 3 est un film d'un sérieux à toute épreuve, presque dépressif, et dont l'angle romantique est aussi poétique que malsain.
Loin de l'approche presque parodique des deux premiers films de la série (auquel ce troisième volet ne fait d'ailleurs référence qu'avec une petite réplique de rien du tout), Yuzna entreprend de filmer avec naturalisme l'historie d'amour impossible entre un ado éploré et sa nana accidentée qu'il ressuscite de façon hasardeuse en utilisant un gaz toxique. La situation est évidemment un cul-de-sac dès le départ, d'autant plus que le film se garde bien de distiller un vain espoir de rémission au sein de ce schéma littéralement putride.
Qui plus est, Yuzna en rajoute même une couche en affublant sa Juliette trépassée d'une tare à laquelle son Roméo est contraint de céder s'il veut la garder à ses côtés, conférant ainsi au couple une dimension tragique on ne peut plus douloureuse : en effet, la demoiselle ne trouve rien de mieux à faire pour canaliser sa faim "zombiesque" que de s'infliger toujours plus de douleur physique, au point de devenir une émule du Pinhead de Hellraiser. Percée, transpercée, scarifiée, mutilée, écorchée ; Julie n'en reste pas moins bizarrement attirante, la charge érotique du personnage étant une célébration du masochisme qui ferait rougir Clive Barker lui-même, tout autant qu'une manière radicale de souligner le propos de son film.

Une image vaut mille mots

Sur ce point, il faut signaler que Yuzna filme les atteintes charnelles avec une dévotion dérangeante mais néanmoins captivante, capable en quelques plans savamment étudiés d'opposer le spectateur à l'ambivalence de ses désirs. Cette approche complexe de la douleur se retrouvera des années plus tard dans toute la vague du torture-porn chère à Hostel ou Saw, et dont les représentant les plus réussis prendront soin (enfin, façon de parler) de mettre le public dans une position aussi coupable que jouissive qui n'aurait guère été possible sans les travaux de Yuzna.
Hélas, il ne s'agit pas du seul apport du Retour des Morts-Vivants 3 à la culture horrifique populaire, puisque son histoire d'amour aussi tragique que macabre entre vivant et mort-vivant infusera la partie la plus adolescente du genre : si Buffy sut se réapproprier avec intelligence les bases posées par Yuzna en n'omettant jamais l'issue impossible et plus encore la douleur inhérente à pareille relation ; l'approche du film n'en sera pas moins pervertie (et pas dans le bon sens du terme) au travers de bluettes adolescentes qui en viennent, sans qu'on ne sache trop comment, à glorifier la nécrophilie. Twilight, Warm Bodies, Life After Beth... Autant de nunucheries qui tombent dans tous les pièges évités par Le Retour des Morts-Vivants 3, quand elles ne passent pas complètement à côté de son propos désespéré et pourtant bien plus sensé que ces entreprises de lavage de cerveau à la tonalité disneyenne.

Twilight, Chapitre 5 : Scarification

Peu importe cela dit : s'il vaut mieux célébrer son héritage au travers des films d'Eli Roth, il n'empêche que Le Retour des Morts-Vivants 3 a incontestablement su tirer parti de son exploitation pourtant hasardeuse pour infuser durablement une bonne partie de la culture populaire la plus mainstream... Hélas, pour le meilleur comme pour le pire.


2001 MANIACS
(réalisé par Tim Sullivan - USA - 2005)


J'avais déjà évoqué le film ici il y a longtemps, mais cela peut valoir le coup d'y revenir rapidement, d'autant plus que 2001 Maniacs est un cas à part dans cette liste puisqu'il a connu un succès immédiat, et justement parce qu'il était ouvertement pensé pour les vidéo-clubs dont il rameutait tous les codes : outrance gore, violence grandiloquente, nudité gratuite, répliques ouvertement débiles et situations complètement perchées... Si pondre un remake des 2000 Maniaques de Herschell Gordon Lewis permettait certes tous ces délires, 2001 Maniacs a eu l'intelligence de se poser en figure contre-culturelle de son époque : là où le film original assumait fièrement son statut d'œuvre d'exploitation destinée aux drive-ins, le remake de Tim Sullivan assuma illico son statut de série B légère à louer un samedi soir pour être vue entre potes autour d'une pizza et d'un pack de bière.
Du grand cinéma ? Probablement pas, même s'il faut cela dit un certain talent et un talent certain pour arriver à pondre un pur divertissement dont la débilité racoleuse n'est pour autant jamais méprisante envers le public : on sait ce qu'on vient y chercher, et on en a pour notre argent au détour d'une démarche qui tenait presque d'un chant du cygne, puisque le film est sorti juste avant que les vidéo-clubs ne meurent. Entre les lignes, il y a dans 2001 Maniacs la célébration nostalgique d'une époque déjà révolue, et surtout de son esprit foutraque qui permettait même aux œuvres les plus confidentielles et agitées du bocal de briller. En cela, le film préfigure la courte vague de revivals grindhouses pilotée par Quentin Tarantino et Robert Rodriguez avec Boulevard de la Mort, Planète Terreur, Machete, et tous les suiveurs qui empruntèrent cette voie : Hobo With a Shotgun, Lesbian Vampire Killers, Hell Ride, ou même le 31 de Rob Zombie... Autant de pièces ouvertement bancales et foutraques, ultimes majeurs adressés au bon goût et à une vision normée du cinéma que les video-clubs ont contrecarré pendant trente ans. À lui seul, 2001 Maniacs et son succès qui avait tout du baroud d'honneur aura donc permis l'émergence d'une dernière vague de joyeux bordel avant le triste retour à l'ordre...

Une bande de joyeux drilles


Et maintenant, que reste-t-il de cette époque ? Si "l'esprit vidéo-club" semble mort et enterré, il apparaît néanmoins clairement que l'influence d'œuvres à qui ces boutiques auront offert une seconde chance, ou même une simple exposition, persiste encore et toujours.
Les exemples cités ici ne sont bien sûr pas exhaustifs, et l'on pourrait entre autres rajouter le Cobra de George Pan Cosmatos (1986), échec en salles doublé d'un succès vidéo qui l'affubla d'une aura culte qui imprègne l'image publique de Stallone à peu près autant que Rocky et Rambo ; et dont l'esthétique purement 80's au service d'un anti-héros taiseux a, de l'aveu même de Nicolas Winding Refn, grandement influencé son Drive présenté et célébré à Cannes.


Qui aurait pu croire qu'une série B bourrine avec Sly aurait tant d'influence ? Qui aurait cru qu'une romance malsaine et gore entre un ado et sa copine zombie persisterait au travers de deux branches aussi distinctes que vivaces du cinéma de genre des années 2000, et qui aurait cru qu'un polar fauché avec Lundgren en Punisher paverait la voie à un drame acclamé avec Joaquin Phoenix ? Probablement personne, ou en tout cas, pas ceux qui ont alors relégué ces films aux rayonnages des vidéo-clubs. Et paradoxalement, cette influence aurait-elle été la même sans ce mode de distribution ?  Sans doute que non.
À partir de là, reste à savoir pourquoi ces films ont réussi à briller, en dépit de leur relégation en seconde division. Leur qualité intrinsèque pèse évidemment dans la balance, mais la qualité ne mène nulle part sans visibilité, et c'est là que les vidéo-clubs ont joué leur part avec hargne, au travers du service de proximité dénué de calcul qu'ils offraient.
Entendons-nous bien, l'on produit toujours des films audacieux et barrés aujourd'hui, mais les retrouver dans le marasme du téléchargement illégal (qui se résume in fine à un froid catalogue) n'est guère aisé, pas plus qu'au travers des algorithmes des services de streaming. Netflix ou Amazon Prime ne sont pas là pour vous faire découvrir de nouveaux horizons (même s'ils en ont en stock) : leurs systèmes répondent à de tristes calculs de données qui ne cherchent jamais à vous sortir de votre zone de confort, ces mêmes calculs qui servent d'outils pour concevoir des séries sûres d'alpaguer le consommateur en le coinçant dans une morne apathie. À l'inverse, "l'algorithme" des vidéo-clubs reposait bien souvent sur un gérant passionné, cinéphile, et à même de vous diriger avec enthousiasme vers ses derniers coups de cœurs. À l'image des libraires, des bibliothécaires, ou bien évidemment des gérants de cinéma de quartier, ces commerçants jouaient un véritable rôle d'éclaireur qui a permis à nombre d'œuvres de traverser les années au lieu de sombrer injustement dans les méandres de l'oubli.
Et si le gérant en question n'était là que pour faire tourner la boutique, ou si ses goûts n'étaient guère sûrs ? Pas grave : la roublardise des distributeurs était une arme à double tranchant tant pour eux que pour le spectateur. En survendant par exemple un Punisher comme un film d'action décérébré à la Chuck Norris, ou en refourguant Cabal comme un sous-Vendredi 13, les producteurs prenaient certes le risque de décevoir le spectateur, mais ils s'en fichaient : ces films étaient déjà des échecs, et ils n'avaient donc plus rien à perdre en jouant ce va-tout... Nul doute que nombre de consommateurs peu réceptifs se sont sentis floués et ont pesté contre leur location, mais nul doute également que les spectateurs plus ouverts ont laissé leur œillères de côté pour se plonger dans des films plus audacieux que prévu, au point de les conseiller ensuite à leur entourage.
La rareté propre aux stocks limités est également à prendre en compte : aujourd'hui, vous pouvez certes conseiller un film méconnu à vos proches, mais le sentiment d'urgence propre aux video-clubs n'est plus puisque l'œuvre est assurée de rester en ligne pendant des années voire même des décennies, enfermant ainsi le spectateur potentiel dans une sorte de paresse. Cela était impossible à l'époque, car non seulement les VHS étaient affligées d'une durée de vie limitée et sans garantie de réédition, mais de plus ces raretés savaient-elles se faire désirer. Lorsque vous parveniez à enfin mettre la main sur cette série B dont l'unique exemplaire tournait patiemment de magnéto en magnéto, vous étiez on ne peut plus réjoui et donc à même d'accueillir ce que le film offrait. L'état d'esprit joue un rôle énorme dans la réception d'une œuvre, et ce système de distribution parfois fauché était paradoxalement une bénédiction pour les films les plus exigeants. Il faut aussi noter que cette limitation des exemplaires assurait aux titres de passer lentement de main en main, forgeant ainsi leur renommée petit à petit, bien loin de l'actuelle immédiateté qui transforme une sortie en buzz simplement destiné à être remplacé par celui de la semaine d'après. Enfin, ce rythme de tortue permettait même à certains films avant-gardistes de continuer de tourner lorsque leurs héritiers spirituels commençaient à briller, permettant ainsi une réévaluation assez rapide et donc salvatrice.


Cela ne semble plus guère possible à notre époque où tout est disponible tout le temps et tout de suite, et si l'on pourrait croire que les productions se tireraient donc la bourre pour être aussi originales que possible, le constat est malheureusement tout autre. Les vidéo-clubs ne reculaient devant rien pour appâter le chaland dans les rayonnages, au gré de jaquettes et de promesses toutes plus délirantes les unes que les autres. Hélas, cet argument de vente s'est depuis transformé en pure poudre aux yeux : à l'heure où n'importe quel inculte ou n'importe quel indigné de pacotille peut flinguer la carrière d'un film en bavant sa morve sur Twitter, les producteurs jouent de plus en plus l'entre-deux mou et consensuel, sans risque, pour éviter tous remous à même de leur sucrer quelques bénéfices. La victoire de la médiocrité sur l'audace, en somme. Triste constat...
Certes, il reste quelques enclaves qui usent avec pertinence de l'outil numérique pour reprendre le flambeau des éclaireurs d'antan : l'on pourrait notamment citer la plateforme Shadowz, qui obéit à un véritable contenu éditorial basé sur l'exigence et la sélection rigoureuse d'oeuvres audacieuses et de perles plus ou moins oubliées ; et l'on pourrait aussi citer quelques blogs et sites indés qui fourmillent de critiques et d'analyses poussées afin de mettre en valeur les trop discrets soubresauts d'audace artistiques de notre époque.


Entendons-nous bien : que la culture soit accessible à tous n'est clairement pas le problème, il serait totalement idiot de blâmer cette ouverture sur le monde ; mais il serait tout aussi idiot de féliciter les décideurs qui se mettent au niveau du tout-venant sans jamais chercher à élever le niveau. Car en agissant ainsi, ce qui devrait être un outil de distribution plus salvateur encore que la vidéo devient une régulation de plus ; bien loin de l'esprit foutraque, frondeur, hors-normes et contre-culturel des vidéo-clubs, dont les succès populaires étaient in fine plus solides que ceux qui ne répondent qu'à de bas calculs sans prise de risque.



*à ce titre, je vous recommande ce reportage hilarant à propos d'un village fourmillant de points de location, et sur les goûts très particuliers de ceux qui font tourner ce commerce... À regarder de préférence après la lecture de l'article !