01/10/2022

À propos de Bad Voodoo

“Mais pourquoi t'écris un western ?”
Je ne compte plus le nombre de fois où l'on m'a posé cette question, avant et pendant la rédaction de Bad Voodoo. Et si je pourrais très bien ne pas y répondre, parce qu'après tout je fais ce je veux et est-ce que moi je t'en pose des questions, le fait est que l'interrogation soulève néanmoins deux points d'intérêt.
Le monde se divise en deux catégories (désolé de te la piquer Clint, mais elle est plus adaptée que jamais) : ceux qui pensent que le western est un genre dépassé et donc une impasse commerciale ; et ceux qui pensent que le genre est si codifié, si légendaire et même si ancré dans l'imaginaire collectif que s'y attaquer est une démarche quasi-suicidaire.

"Non mais, c'est vrai que le monde se divise en deux catégories..."

   Aux premiers, je répondrais simplement : rien à foutre. Et au passage, si vous n'écrivez que sous un prisme commercial, après avoir mené une sorte d'étude de marché et sans avoir les couilles de prendre des risques et de cracher ce que vous avez dans les tripes (enfin, à condition d'en avoir), alors vous serez bien gentils de la boucler et même de cesser de parasiter l'espace au détriment de vrais artistes, merci.
   C'était donc le coup de gueule de l'article, car j'en ai franchement soupé des "conseils avisés" de scribouillards qui torchent à la chaîne les mêmes daubasses chaque semestre. C'est sûr que ce n'est pas avec une telle implication que vous arriverez à pondre un western car oui, le genre est casse-gueule, éculé et néanmoins exigeant car déjà abordé sous toutes les coutures. Et c'est justement ce qui m'intéressait.

"Entrons dans le vif du sujet..."

   Un célèbre critique français (Rafik Djoumi pour ne pas le nommer) a un jour déclaré qu'il ne comprenait pas les réalisateurs qui méprisent le western étant donné que ce genre constitue les fondations de l'imaginaire moderne, tous médias confondus. Et même si je ne suis pas toujours d'accord avec le sieur Djoumi, le fait est qu'il avait foutrement raison ce jour-là.
   Dire que le western a tout inventé en terme d'histoires et même de narration serait cependant exagéré : les épopées et les grandes sagas existaient bien avant lui, de même que les territoires hostiles propices à toutes les légendes, et ce n'est guère Joseph Campbell et son Monomythe qui me contredirait. Mais plus qu'aucun autre genre avant lui, le western s'est tellement approprié ces récits et les a surtout tellement popularisé qu'il continue à infuser les arts et la culture. La raison tient en un mot : cinéma. Même si les bases du western ont été posés en littérature au travers d'œuvres restées célèbres comme Le Dernier des Mohicans, le cinéma les a imposées au monde entier.

La machine à rêves, prête à exploiter ses terres de légendes

   L'industrie hollywoodienne débute au moment où la Conquête de l'Ouest touche à sa fin, qui plus est dans la même zone géographique : le désert, ses villes fantômes et ses ranchs sont aux portes de Los Angeles ; et y tourner les premiers westerns présente donc un intérêt économique qui se double d'un intérêt politique voire même propagandiste en ce qu'il aide à bâtir l'imaginaire d'une nation encore balbutiante, mais qui ressent déjà le besoin de réécrire sa propre Histoire pour unifier son (vaste) territoire. Inutile de nier les faits : sauf très rares exceptions (les films de Hawks en particulier), les premiers films sont ouvertement manichéens, d'autant plus qu'ils ont pour consultants de véritables figures de l'Ouest toujours prêtes à glorifier leur passif. En clair : il est préférable de balancer que les Indiens étaient une bande de sauvages sans foi ni loi que vous avez vaillamment combattus au lieu de revendiquer massacres et coups bas ; quand il ne s'agit pas de se faire passer pour un digne sheriff alors que vous étiez aussi pourris que ceux que vous traquiez. L'exemple de Wyatt Earp est à ce titre éloquent, nombre de films le faisant passer pour un garant de la morale là où le véritable Wyatt était un tenancier de bordel et un tricheur de poker recherché dans divers états pour être un peu trop porté sur les balles dans le dos.
   Cela étant dit, l'image du pionnier solitaire en guerre contre la nature, les éléments, les autochtones et parfois même d'autres pionniers n'en reste pas moins si évocatrice qu'elle persistera dans la démystification pourtant violente opérée à partir des 60's par une poignée de réalisateurs européens, en particulier italiens.

Sergio Leone, une légende lui aussi

   Le recul aussi bien géographique que culturel de ces artistes leur laissait tout loisir de flinguer les histoires imprégnées de valeurs US pour recentrer la question sur les (sombres) faits ; mais en se réappropriant les codes du western pour les détourner, les casser ou les pousser dans leurs ultimes retranchements, Leone et consorts installeront cependant une nouvelle légende dont l'aura persiste à l'heure actuelle : l'anti-héros solitaire, en guerre contre à peu près tout et tout le monde, et qui n'a que ses inaltérables principes pour survivre au milieu des pourris. Là où le patriotisme prévalait, les Italiens louent ou du moins décortiquent l'individualisme stirnerien.
   Le choc n'a d'égal que le rejet chez les Américains, avant que de grands noms tels que Clint Eastwood (formé chez Leone, faut-il le rappeler), George Romero, Paul Verhoeven, John McTiernan, Don Siegel, Sam Peckinpah, Sam Raimi, Tommy Lee Jones, les Frères Coen, Rob Zombie, Robert Rodriguez, Quentin Tarantino et surtout John Carpenter n'assimilent les travaux des Italiens pour en nourrir leur propre cinéma afin de forcer l'Amérique à regarder en face son Histoire et surtout sa culture profondément guerrière et même carnassière. Et si je ne cite que des réalisateurs, nombre d'auteurs payent eux aussi leur tribut au western-spaghetti : King et sa Tour Sombre, Garth Ennis et son Preacher, ou même Frank Miller et son Batman eastwoodien (pour ne mentionner qu'eux).

 

 
En haut : Vampires de Carpenter, Il Était une Fois au Mexique de Rodriguez et Starship Troopers de Verhoeven ; western-likes sous influence européenne
En bas : Preacher, l'une des plus belles et intelligentes itérations littéraires du western

   Le ver était néanmoins dans le fruit dès le début, puisque le tout premier western reconnu comme tel ne fut pas tourné aux USA mais (et cela risque d'en surprendre plus d'un)... En France, et plus précisément en Camargue par Joë Hamman, complètement transcendé par un voyage aux USA où il rencontra Buffalo Bill. Une anecdote oubliée qui prouve néanmoins que l'Amérique a toujours su se nourrir de points de vue divers, aussi originaux ou séditieux soient-ils, pour nourrir une légende que d'autres étrangers démystifieront de plus belle : Hamman le Français ouvre ainsi la voie à Leone l'Italien, qui infusera Rodriguez le Mexicain ou Ennis l'Irlandais. Et ainsi de suite.

Joë Hamman, le français qui posa les rails du western

   À mon tour, donc ?
   Je n'irais peut-être pas jusque là, mais il n'empêche que le western m'appelait depuis longtemps, peut-être parce qu'ausculter l'Histoire pour détourner voire démolir les légendes et les codes parcourt mon œuvre. Certains lecteurs ont eux-mêmes repéré cette obsession, que ce soit au travers d'un chapitre de Chimère(s) qui prenait place dans le Swingin' London pour expliciter tous les nœuds de l'intrigue en flinguant sans vergogne l'héritage du peace and love, ou d'Une Brève Histoire du Sang que j'ai moi-même vendu comme un revival empoisonné des 80's (parce que la nostalgie aveugle qui entoure cette époque m'exaspère).

Aparté promo : les deux bouquins sont toujours en vente sur ma page auteur Amazon, n'hésitez pas !

   À ce titre, une terre et surtout une époque de légende comme l'Ouest offrait un terrain de jeu aux possibilités infinies, et cela d'autant plus que j'avoue être très réceptif à la philosophie individualiste qui la façonne. J'attendais néanmoins d'avoir assez d'exercice pour m'y frotter car oui, la tâche était effectivement colossale, ce qui explique d'ailleurs que le bouquin tienne sur deux volumes : non seulement la longueur de l'histoire l'exigeait, et penser la seconde partie comme un miroir déformé de la première restait le meilleur moyen de tordre au maximum les codes du western pour, il faut bien le dire, remuer la merde en profondeur. Une autopsie que je ne détaillerais pas plus que nécessaire (les bouquins sont achevés donc achetez-les, non mais !), car elle passe par d'autres obsessions qui forgent mon travail et que je ne veux pas sur-intellectualiser : j'estime qu'un créateur n'a pas à fournir toutes les clefs. Sachez néanmoins qu'il est question d'autorité aliénante, de masques sociétaux, de femmes bafouées et même violentées, et bien sûr d'un fond surnaturel qui souligne et même anime toute cette crasse.

 
Et pour vous les procurer, même adresse qu'au-dessus ou par ici
(disponible aussi bien en Kindle qu'en broché)

   Un fond surnaturel que je risque d'ailleurs de délaisser pour mon prochain livre et peut-être même plus, tant je considère Bad Voodoo comme un aboutissement à ce sujet : j'ai toujours aimé l'horreur et l'épouvante, je me suis toujours servi avec respect des outils qu'ils offrent, mais j'estime avoir fait le tour de la question pour un petit moment au travers des nuances de ce livre et des légendes qu'il honore.
   Pour l'heure, je ne suis donc plus qu'un cow-boy qui s'éloigne dans le soleil couchant... en laissant néanmoins deux beaux carnets derrière lui. Ouvrez-les, et soyez parés à tous les dangers d'une époque mythique car profondément redoutable.

"En clair, ça veut dire achète ces foutus bouquins !"